Un carnet de voyage en Psychanalyse au 21eme siècle.

 

Vendredi soir, 40 minutes d’aventure sur la route, en camping-car et en amoureux.

Dans ce temps si court, j’ai vécu des émotions avec le sentiment de me perdre, la peur de tomber dans le fossé, de passer par-dessus le chemin, de frotter le toit sur les arbres, de m’enliser dans la terre, de ne pas pouvoir passer. Et puis on s’est garé, on a mis les cales parce que le terrain est en pente. On est toujours de travers et ce n’est pas bien grave. Raviolis bio en boite chauds, olives et vin rouge. On s’est laissés entourer par la nuit. Cette nuit de l’équinoxe d’automne. L’anniversaire de ce fils qui aurait eu 40 ans. La tragédie en creux…

Que faire à part intensifier notre présence ? un tambour chamanique a soudain résonné et nous avons eu notre concert privé. Un gros chat noir et blanc est venu nous observer et se couchant à 2 m de nous. Intensité de l’œil qui voit la nuit. Plus tard, je t’ai regardé pleurer doucement. J’aurais voulu qu’il pleuve à ce moment-là.

Samedi matin, posés sur ce terrain dans le hameau de St Paul en forêt. A 20 mn du brouhaha, le silence, la verdure et l’espace qui permet de détendre son esprit. Dans la cabane roulante, pelotonnée sous la couette en plume, je regarde les nuages de pluie et les contours des chênes verts. Les couleurs vibrent dans le gris du ciel. Les bruits de la pluie nous enveloppent. Entre l’humidité du ciel et l’aridité du sol qui boit, absorbe tout ce qu’il peut après ces longs mois de sécheresse. Douceur de l’eau de vie qui arrose goutte après goutte. Ce n’est pas l’épisode méditerranéen annoncé mais plutôt le réensemencement de la terre. Nous avons décidé de vivre cela au cœur de la nature. Protégés dans notre cabane mais arrosés de la pluie purificatrice. Après le mistral de la semaine dernière, la pluie tant désirée glisse autour de nous. Nous en appelons aux éléments pour nous nettoyer de la tristesse.

 
 
 

Nous avons choisi de résister en devenant « nomades ».

Résister c’est créer le rêve. C’est d’une attitude apophatique dont je parle. On ne peut faire référence aux choses importantes que par évitement, contournement. Comme si la jonction qui doit se faire entre rêve et réalité ne pouvait passer que par un chemin d’errance. On ne peut aller à la rencontre du rêve qu’en n’y allant pas.

Les âmes errantes, les pauvres erres, l’errant, le vagabond, le clochard, errer sans but… Ce fantasme angoissant d’être juste là pour rien, sans aucun savoir. Mais ce faisant, c’est aussi accepter le surgissement des structures archétypales intemporelles et participer à l’élaboration de sa propre reconnaissance au monde.

Michel Maffesoli dans « du nomadisme », nous parle de briser l’assignement à résidence exigée par le modernisme. Est-ce qu’on pourrait penser qu’aller au-delà du surmoi social participerait à l’évolution de l’inconscient collectif ? La mutation du monde ferait muter aussi la psychanalyse en faisant émerger le nouveau sujet, ré-acceptant la nécessaire errance, l’exil de soi-même. Etre nomade à l’intérieur de soi, c’est être humain partout. Aller chercher dans ses incertitudes, dans le non-établi, dans le non savoir, la quintessence de son élan vital.

La période covid a fait voler en éclat le concept de mobilité. En assignant à résidence des millions de personnes, c’est bien sûr tout un pan de l’inconscient collectif qui a bougé.

On nous a demandé de télé-travailler, en nous obligeant d’être à domicile et en fournissant même un justificatif d’assurance ! Le fantasme était encore de contrôler les salariés s’ils restaient chez eux. Nombre de salariés ont encore besoin de se dire que travailler c’est être aliéné à un lieu. « Le lieu de travail » comme le lieu de vie ou l’adresse fiscale. Là où c’est sûr, on peut nous trouver, nous vérifier.

On sent que le mouvement de la grande démission où des milliers de personnes refusent l’étroitesse du cadre, se sentant en insécurité là où il y a peu de temps encore le slogan était « un CDI et un appart » comme aboutissement, ramène en première ligne le concept de pulsion d’errance.

C’est un véritable retour du refoulé social auquel on assiste, qui se traduit par une mise en abime du concept du travail. La psychanalyse du 21eme siècle doit prendre en compte que l’aboutissement d’être libre « d’aimer et de travailler » ne veut plus dire la même chose qu’au siècle dernier.

Ce qui nous intéresse dans l’errance, c’est ce paradoxe entre la manifestation d’un trajet pulsionnel qui dérive en inscrivant dans le mouvement la division du sujet, et un état fondamentalement humain, qui s’exprime dans la rêverie, le désir de voyage, la création artistique. L’errance est un sujet merveilleux à la frontière du normal et du pathologique. Ligne floue entre pulsion de vie et pulsion de mort.

Est-ce qu’il faudrait comprendre que l’errance serait soit l’expression d’une profonde liberté, soit celle d’un vide existentiel infini ? C’est bien sûr au niveau du choix que l’on trouve la réponse.

 

En tous les cas, nous voici devenus Co-errants par choix…

Valérie Périer - Psychanalyste humaniste initiatique